vendredi 17 juillet 2015

La République, de Platon


Lu La République, de Platon. Incontestablement une œuvre majeure, ne serait-ce que par son ampleur (dix livres, pas un de moins) et la variété des thèmes traités. Si le dialogue s’amorce par la tentative de Socrate de faire ressortir la fausseté de l’équivalence posée par Thrasymaque entre l’injuste et l’avantageux, ce n’est que vers la fin du traité, lorsque Platon [R1] souligne le caractère néfaste de la tyrannie, que l’objectif est atteint. Entre temps, le lecteur aura eu le temps de découvrir une description du régime idéal, une classification des régimes politiques en fonction des types de caractères, des réflexions sur la philosophie, les sciences et les arts, une définition de la dialectique, des arguments en faveur de l’immortalité de l’âme et une quête permanente de « la vie la meilleure ».

La République a les forces et les faiblesses de tous les dialogues platoniciens (une logique rigoureuse, mais un peu lourde ; les interlocuteurs de Socrate presque toujours réduits à l’état de faire-valoir, etc). Il est impossible de résumer en quelques phrases une telle œuvre, je vous propose donc le relevé des passages qui m’ont le plus interpellés :
"[Socrate]: Si donc quelqu'un affirme que la justice consiste à rendre à chacun ce qu'on lui doit, et s'il entend par là que l'homme juste doit préjudice à ses ennemis et service à ses amis, il n'est point sage celui qui tient de tels propos. Car il ne dit pas la vérité : en aucun cas en effet et à personne il ne nous est apparu juste de faire du mal."

"[Thrasymaque]: Quel est, dit-il, ce bavardage, Socrate, et pourquoi faites-vous les sots, vous inclinant tour à tour l'un devant l'autre? Si véritablement tu veux savoir ce qu'est le juste, ne te contente point d'interroger, et ne mets pas ton honneur à réfuter celui qui répond, mais, ayant reconnu qu'il est plus facile d'interroger que de répondre, réponds toi-même et dis comment tu définis la justice."

"[Thrasymaque]: J'affirme que le juste n'est autre chose que l'avantageux au plus fort. [...] L'élément le plus fort, dans chaque cité, est le gouvernement. [...] Et chaque gouvernement établit les lois pour son propre avantage : la démocratie des lois démocratiques, la tyrannie des lois tyranniques et les autres de même ; ces lois établies, ils déclarent juste, pour les gouvernés, leur propre avantage, et punissent celui qui le transgresse comme violateur de la loi et coupable d'injustice. Voici donc, homme excellent, ce que j'affirme : dans toutes les cités le juste est une même chose : l'avantageux au gouvernement constitué; or celui-ci est le plus fort, d'où il suit, pour tout homme qui raisonne bien, que partout le juste est une même chose : l'avantageux au plus fort."

"[Thrasymaque]: L'homme juste est partout inférieur à l'injuste. D'abord dans le commerce, quand ils s'associent l'un à l'autre, tu ne trouveras jamais, à la dissolution de la société, que le juste ait gagné, mais qu'il a perdu ; ensuite, dans les affaires publiques, quand il faut payer des contributions, le juste verse plus que ses égaux, l'injuste moins; quand, au contraire, il s'agit de recevoir, l'un ne touche rien, l'autre beaucoup. Et lorsque l'un et l'autre occupent quelque charge, il advient au juste, si même il n'a pas d'autre dommage, de laisser par négligence péricliter ses affaires domestiques, et de ne tirer de la chose publique aucun profit, à cause de sa justice. En outre, il encourt la haine de ses parents et de ses connaissances, en refusant de les servir au détriment de la justice; pour l'injuste, c'est tout le contraire. Car j'entends par là celui dont je parlais tout à l'heure, celui qui est capable de l'emporter hautement sur les autres; examine-le donc si tu veux discerner combien, dans le particulier, l'injustice est plus avantageuse que la justice."

"[Socrate]: Penses-tu que ce soit une petite entreprise de définir la règle de vie que chacun de nous doit suivre pour vivre de la façon la plus profitable ?"

"[Socrate]: je ne suis pas convaincu, et je ne crois pas que l'injustice soit plus profitable que la justice, même si l'on a liberté de la commettre et si l'on n'est pas empêché de faire ce que l'on veut. Qu'un homme, mon bon, soit injuste et qu'il ait pouvoir de pratiquer l'injustice par fraude ou à force ouverte : je ne suis point pour cela persuadé qu'il en tire plus de profit que de la justice."

"[Socrate]: Le plus grand châtiment consiste à être gouverné par un plus méchant que soi, quand on ne veut pas gouverner soi-même."

"[Socrate]: L'injustice fait naître entre les hommes des dissensions, des haines et des luttes, tandis que la justice entretient la concorde et l'amitié."
-Platon, La République ou De la Justice, Livre I. Traduction Émile Chambry.

"[Glaucon]: Que ceux qui pratiquent la justice la pratiquent de mauvais gré, par incapacité à commettre l’injustice, nous pourrions le percevoir le mieux si par la pensée nous réalisions ce qui suit : nous donnerions à chacun des deux, à l’homme juste comme à l’injuste, licence de faire tout ce qu’il peut vouloir, puis nous les suivrions, pour observer où son désir poussera chacun d’eux. Et alors nous pourrions prendre l’homme juste sur le fait, en train d’aller dans la même direction que l’homme injuste, poussé par son envie d’avoir plus que les autres : c’est là ce que chaque nature est née pour poursuivre comme un bien, alors que par la loi elle est menée, de force, à estimer ce qui est égal. La licence dont je parle serait réalisée au plus haut point, si ces deux hommes recevaient un pouvoir tel que celui que, dit-on, reçut jadis l’ancêtre de Gygès le Lydien. On dit en effet qu’il était berger, aux gages de celui qui alors dirigeait la Lydie ; et qu’après qu’une forte pluie se fut abattue, causant un glissement de terrain, un endroit de la terre se déchira et que s’ouvrit une béance dans le lieu où il faisait paître. La voyant, il s’émerveilla, et y descendit ; et il y aurait vu, parmi d’autres merveilles que rapporte l’histoire, un cheval de bronze évidé, percé d’ouvertures. S’y penchant, il aurait vu que s’y trouvait un cadavre, apparemment plus grand que n’aurait été un homme, et qui ne portait rien, si ce n’est, à la main, une bague en or. Il s’en serait emparé, et serait ressorti. Or, comme avait lieu le rassemblement habituel aux bergers, destiné à rapporter chaque mois au roi l’état des troupeaux, lui aussi y serait venu, portant la bague en question. S’étant assis avec les autres, il aurait tourné par hasard le chaton de la bague vers lui-même, vers l’intérieur de sa main, et dès lors serait devenu invisible pour ceux qui siégeaient à côté de lui, et qui dialoguaient à son sujet comme s’il avait été parti. Il s’en serait émerveillé, et manipulant la bague en sens inverse, aurait tourné le chaton vers l’extérieur, et une fois le chaton tourné, il serait redevenu visible. Ayant compris cela, il aurait mis la bague à l’épreuve pour voir si elle avait réellement ce pouvoir, et la même chose lui serait arrivée : en tournant le chaton vers l’intérieur il devenait invisible, vers l’extérieur, visible. Dès qu’il s’en serait aperçu, il aurait fait en sorte d’être parmi les messagers qui allaient auprès du roi, et une fois là-bas, ayant commis l’adultère avec la femme du roi, aurait comploté avec elle pour tuer le roi et ainsi s’emparer du pouvoir. Eh bien donc, s’il existait deux bagues de ce genre, et que l’homme juste en enfile l’une, l’homme injuste l’autre, il n’y aurait personne, semblerait-il, qui aurait un caractère d’acier assez indomptable pour persister dans la justice, avoir le cœur de s’abstenir de ce qui est à autrui, et de ne pas y toucher ; c’est qu’il lui serait possible de prendre ce qu’il voudrait, sans crainte, y compris sur la place publique, de pénétrer dans les maisons pour s’unir à qui il voudrait, de tuer ou de délivrer de leurs liens ceux qu’il voudrait, et d’agir à l’avenant parmi les hommes, étant l’égal d’un dieu. Celui qui en profiterait ne ferait rien de différent de l’homme injuste : l’un et l’autre iraient dans la même direction. À coup sûr on pourrait affirmer avoir là une preuve éclatante que personne n’est juste de son plein gré, mais parce qu’il y est contraint, persuadé que cela n’est pas un bien pour soi personnellement ; puisque chaque fois que quelqu’un croit qu’il sera en mesure de commettre une injustice, il la commet. C’est que chaque homme croit que l’injustice lui rapporte personnellement beaucoup plus que la justice, et ce qu’il croit là est vrai, affirmera celui qui parle en ce sens. Car si quelqu’un, qui s’avisait d’une telle possibilité, ne consentait à commettre aucune injustice et ne touchait à rien de ce qui est à autrui, il passerait, aux yeux de ceux qui s’en rendraient compte, pour l’homme le plus à plaindre et le plus dépourvu d’intelligence ; ils feraient néanmoins son éloge les uns devant les autres, pour se tromper mutuellement, par peur de subir l’injustice."

"[Adimante]: Devant la vertu, les dieux ont placé la sueur...et [...] c’est une route longue, difficile, et adverse."

"[Socrate]: Une cité, je crois, vient à être pour autant que chacun de nous se trouve non pas auto-suffisant, mais porteur de beaucoup de besoins."

"[Socrate]: Dans un échange, qu’on donne à quelqu’un d’autre, quand on le fait, ou qu’on reçoive, c’est parce qu’on croit que ce sera meilleur pour soi-même."

"[Socrate]: Chaque genre de choses est produit en plus grand nombre, en meilleure qualité, et plus facilement, lorsque c’est un seul homme qui fait une seule chose, conformément à sa nature, et au bon moment, en se mettant en congé des autres choses."

"[Socrate]: Nous aurons donc besoin aussi de marchands."

"[Socrate]: Il nous naîtra de cela une agora et une monnaie reconnue, comme symbole de l’échange."

"[Socrate]: Ne t’es-tu pas rendu compte à quel point le cœur est chose impossible à combattre et à vaincre [...] ?"

"[Socrate]: Des discours l’espèce se divise en deux : l’une des vrais, et l’autre des faux [...] Et il faut éduquer avec les deux espèces, mais d’abord avec les discours faux."
-Platon, La République ou De la Justice, Livre II. Traduction Émile Chambry.

"[Socrate]: Les choses qui sont les meilleures ne sont-elles pas celles qui sont le moins modifiées et mises en mouvement par autre chose qu’elles-mêmes ?"

"[Socrate]: Tout homme se pardonnera d’être méchant, s’il est persuadé que c’est bien là ce que font et faisaient aussi ceux qui sont proches de la semence des dieux, ceux qui sont proches de Zeus, qui ont sur la colline de l’Ida un autel de Zeus paternel, dans l’éther et en qui le sang des êtres divins n’est pas encore éteint C’est pourquoi il faut mettre un terme à ce genre d’histoires, pour qu’elles ne fassent pas naître chez nos jeunes une grande propension à la méchanceté."

"[Socrate]: Est-ce donc les poètes seulement que nous devons contrôler, et eux seulement que nous devons contraindre à créer dans leurs poèmes l’image de la bonne façon d’être, sous peine de renoncer à être poètes chez nous ? Ne devons-nous pas contrôler aussi les autres artisans, et les empêcher d’introduire cette façon d’être mauvaise, déréglée, dépourvue du sens de la liberté et privée de grâce, dans les images des animaux, dans les constructions, et dans tout autre objet fabriqué par l’art ?"

" [Socrate]: peux-tu désigner un plaisir plus grand et plus aigu que celui d’Aphrodite ?"

"[Socrate]: pourras-tu trouver une plus grande preuve de la pauvreté et de la faiblesse de l’éducation qui a cours dans une cité, que le besoin de médecins et de juges éminents, non seulement chez les gens quelconques et les travailleurs manuels, mais aussi chez ceux qui se targuent d’avoir été élevés dans un esprit de liberté ?"

"[Socrate]: Si l’on veut qu’ils soient tels qu’on a dit, qu’ils vivent et qu’ils habitent à peu près de la manière suivante : que d’abord aucun d’eux ne possède aucun bien en privé, si ce n’est le strict nécessaire ; qu’ensuite aucun n’ait d’habitation ni de cellier ainsi disposé que tout le monde ne puisse y entrer à son gré ; quant à ce qui est nécessaire aux besoins d’hommes qui s’exercent à la guerre, à la fois tempérants et virils, qu’ils le déterminent  pour le recevoir des autres citoyens en salaire de la garde qu’ils exercent, en quantité telle qu’ils n’aient à la fin de l’année ni excès ni déficit. Que, fréquentant les tables collectives, comme s’ils étaient en campagne, ils vivent en commun. Et pour l’or et l’argent, qu’on leur dise qu’ils ont, dans leur âme, pour toujours, de l’or et de l’argent divins, fournis par les dieux, et qu’ils n’ont pas besoin de surcroît d’avoir or et argent humains ; et qu’il n’est pas conforme à la piété de souiller la possession du premier en la mêlant à la possession d’or mortel, parce que beaucoup d’actes impies ont eu pour cause la monnaie utilisée par la masse, tandis que l’or qui leur est confié est sans mélange. Qu’à eux seuls, parmi ceux qui sont dans la cité, il est interdit de manier et de toucher or ou argent, de se trouver sous le même toit que ces métaux, de s’en orner, ou de boire dans un vase d’or ou d’argent. C’est ainsi qu’ils pourront se préserver et préserver la cité. Au contraire, dès lors qu’eux-mêmes auront acquis un terrain privé, des maisons, et des monnaies en usage, ils seront administrateurs de maisons et cultivateurs, au lieu d’être des gardiens, et ils deviendront les maîtres hostiles, et non plus les alliés, des autres citoyens ; c’est alors en haïssant et se faisant haïr, en tramant des plans contre les autres, qui en trameront contre eux, qu’ils passeront toute leur vie, craignant bien plus et plus souvent l’hostilité des gens de l’intérieur que celle des gens de l’extérieur. Ils courront dès lors quasiment au désastre, eux et tout le reste de la cité, Cela étant, et pour toutes ces raisons, dis-je, devons-nous affirmer que c’est de la façon que nous avons dite que les gardiens doivent être établis, en ce qui concerne le logement et les autres dispositions, et ferons-nous de cela une loi, ou non ?

-Faisons-le, certainement, dit Glaucon.
"
-Platon, La République ou De la Justice, Livre III. Traduction Émile Chambry.

"[Socrate]: Nous établissons la cité non pas en cherchant à obtenir qu’un groupe isolé soit chez nous exceptionnellement heureux, mais que soit heureuse, le plus qu’il est possible, la cité tout entière."

"[Socrate]: Chaque fois que naîtrait chez les gardiens un rejeton de qualité médiocre, le renvoyer chez les autres habitants ; et chaque fois que chez les autres naîtrait un rejeton de valeur non négligeable, le renvoyer chez les gardiens."

"[Socrate]: Ceux à qui revient de se soucier de la cité doivent s’attacher à ce que l’éducation ne perde pas sa qualité sans qu’ils s’en aperçoivent ; ils doivent prendre garde, envers et contre tout, que l’on n’innove pas en gymnastique et en musique en dehors de ce qui a été établi, mais qu’on les garde intactes le plus qu’il est possible."

"[Socrate]: Mais que dire, au nom des dieux, dis-je, de ces affaires qu’on traite sur l’agora, des conventions que, sur l’agora, en matière de contrats, les uns et les autres concluent entre eux ? et, si tu veux, des contrats concernant les travailleurs manuels, des insultes et des agressions, du dépôt des plaintes, de la désignation de juges, et de ce qui se passe au cas où il est nécessaire, pour les taxes, de les percevoir ou de les instituer sur les marchés ou sur les ports, ou bien encore plus généralement de tout ce qui concerne la réglementation des marchés, celle des villes, ou celle des ports, et tous les détails de ce genre ? Aurons-nous l’audace, en ces matières, d’édicter des lois ?

[Adimante]: Non, dit-il, il ne vaut pas la peine de donner à des hommes de bien des instructions ; la plupart des détails qu’il faudrait fixer par la loi, ils les découvriront facilement d’une façon ou d’une autre
."

"[Socrate]: C’est donc par le groupe social le plus petit, par la plus petite partie d’elle-même, et par la connaissance qui s’y trouve, c’est par l’élément qui est au premier rang et qui dirige, que serait tout entière sage la cité fondée selon la nature ; et apparemment la nature fait naître très peu nombreuse la race à laquelle il revient de recevoir en partage cette connaissance que seule parmi les autres connaissances on doit appeler sagesse. [...] Les désirs simples et mesurés, ceux qui se laissent conduire par le raisonnement accompagné d’intelligence et de l’opinion correcte, tu les rencontreras chez le petit nombre, chez ceux dont la nature est la meilleure, et qui en plus ont été le mieux éduqués. "

"[Socrate]: Il y a là deux éléments, et différents l’un de l’autre ; le premier, par laquelle elle raisonne, nous le nommerons l’élément raisonnable de l’âme, et le second, par laquelle elle aime, a faim, a soif, et se laisse agiter par les autres désirs, nous le nommerons l’élément dépourvu de raison et désirant, le compagnon de certaines satisfactions et de certains plaisirs [...] C’est à l’élément raisonnable qu’il revient de diriger, lui qui est sage et qui possède la capacité de prévoir pour l’ensemble de l’âme, et à l’élément de l’espèce du cœur qu’il revient de se soumettre et de s’allier au précédent."
-Platon, La République ou De la Justice, Livre IV. Traduction Émile Chambry.

"[Socrate]: La nature de la femme et celle de l’homme sont différentes."

"[Socrate]: Il faut alors bien que les femmes des gardiens se dévêtent, puisqu’elles s’envelopperont d’excellence en guise de manteaux ; il leur faut s’associer à la guerre et à l’ensemble de la garde de la cité, et elles ne doivent se soucier de rien d’autre. Mais de cela il faut attribuer aux femmes une part plus légère qu’aux hommes, à cause de la faiblesse de leur sexe. [...] Que ces femmes soient toutes communes à tous ces hommes, et qu’aucune ne vive en privé avec aucun; que les enfants eux aussi soient communs, et qu’un parent ne connaisse pas son propre rejeton, ni un enfant son parent. [...] Ils auront en commun logements et repas collectifs, et qu’aucun d’entre eux ne possédera personnellement rien de tel, ils seront forcément ensemble; et comme c’est ensemble qu’ils se mêleront aussi bien au gymnase que dans l’ensemble de leur éducation, sous l’effet d’une nécessité qui est, je crois, innée, ils seront poussés à s’unir les uns aux autres.."

"[Socrate]: Quant à décider de la quantité des mariages, nous en ferons une prérogative des dirigeants, de façon qu’ils préservent le plus possible le même nombre de guerriers, en prenant en compte les guerres, les maladies, et tous les facteurs de ce genre, et que notre cité, autant que possible, ne grandisse ni ne diminue."

"[Socrate]: Connaissons-nous un plus grand mal, pour une cité, que ce qui la scinde, et en fait plusieurs au lieu d’une seule ? Ou de plus grand bien que ce qui la lie ensemble et la rend une ?"

"[Socrate]: Nous avons comparé une cité bien administrée à un corps."

"[Socrate]: Ils [les gardiens] seront exempts de dissension interne, de toutes ces dissensions en tout cas qui e entraînent les hommes à cause de la possession de richesses, ou d’enfants et de parents."

"[Socrate]:  Si l’on n’arrive pas [...] ou bien à ce que les philosophes règnent dans les cités, ou bien à ce que ceux qui à présent sont nommés rois et hommes puissants philosophent de manière authentique et satisfaisante, et que coïncident l’un avec l’autre pouvoir politique et philosophie ; et à ce que les nombreuses natures de ceux qui à présent se dirigent séparément vers l’une ou l’autre carrière en soient empêchées par la contrainte, il n’y aura pas, mon ami Glaucon, de cesse aux maux des cités, ni non plus, il me semble, du genre humain ; et le régime politique qu’à présent nous avons décrit dans le dialogue ne pourra non plus jamais naître avant cela, dans la mesure où il est réalisable, ni voir la lumière du soleil."

"[Socrate]: Celui qui consent volontiers à goûter à tout savoir, qui se porte gaiement vers l’étude, et qui est insatiable, celui-là nous proclamerons qu’il est légitimement philosophe."
-Platon, La République ou De la Justice, Livre V. Traduction Émile Chambry.

"[Socrate]: Il est aussi très nécessaire que celui qui par nature est disposé amoureusement envers un objet d’amour, chérisse tout ce qui est parent, et proche, de ses amours."

"[Socrate]: Un naturel lâche et dépourvu du sens de la liberté ne saurait apparemment pas avoir de part à la philosophie véritable."

"[Socrate]: Ce n’est pas au dirigeant à demander aux dirigés de se faire diriger par lui, dans le domaine où il pourrait véritablement leur être de quelque utilité."

"[Socrate]: Il est impossible que la masse soit philosophe. [...] Il est inévitable que ceux qui philosophent soient désapprouvés par la masse."

"[Socrate]: La valeur de la philosophie — qui est pourtant en si mauvais état — reste assez prestigieuse."

"[Socrate]: Ceux qui ne méritent pas de recevoir une éducation, lorsqu’ils s’approchent de la philosophie et la fréquentent, sans en être dignes, quel genre de pensées et d’opinions allons-nous dire qu’ils vont engendrer ? n’est-ce pas ce qu’il convient de tenir véritablement pour des sophismes, rien qui soit légitime et qui touche à une réflexion véritable ?"
-Platon, La République ou De la Justice, Livre VI. Traduction Émile Chambry.

"[Socrate]: Il faut que ce ne soient pas des amoureux de l’exercice du pouvoir qui s’y portent."

"[Socrate]: Moi, de mon côté, je ne peux considérer comme propre à tourner le regard de l’âme vers le haut d’autre étude que celle qui concerne ce qui est réellement, l’invisible ; et si quelqu’un, regardant bouche bée vers le haut ou bouche close vers le bas, entreprenait d’étudier l’un des objets sensibles, j’affirme qu’il ne pourrait jamais rien apprendre car aucune des choses de cet ordre ne comporte de savoir et que son âme ne regarderait pas vers le haut, mais vers le bas."

"[Socrate]: Chaque fois que quelqu’un, au moyen du dialogue, entreprend sans l’aide d’aucun des sens, de tendre par l’intermédiaire de l’argumentation vers cela même que chaque chose est, et qu’il ne s’arrête pas avant d’avoir saisi par la seule intelligence ce que le bien est en lui-même, il parvient au terme même de l’intelligible, comme le premier, tout à l’heure, à celui du visible.

[Glaucon]: Oui, exactement, dit-il.

[Socrate]: Or dis-moi : n’appelles-tu pas "dialectique" une telle démarche ?

[Glaucon]: Si, bien sûr
."

"[Socrate]: Nous avons affirmé qu’il fallait mener les enfants même à la guerre, sur des chevaux, pour qu’ils en aient le spectacle, et que si c’était à peu près sans risque, il fallait en outre les amener à proximité du combat et leur faire goûter le sang, comme aux chiots."

"[Socrate]: Fatigue et sommeil, en effet, sont ennemis des études."

"[Glaucon]: Ils sont très beaux, Socrate, dit-il, les dirigeants que, comme un sculpteur de statues, tu as fabriqués là.

[Socrate]: Et les dirigeantes aussi, Glaucon, dis-je. Car ne crois nullement que ce que j’ai dit concerne plus les hommes que les femmes, celles des femmes du moins qui naissent avec des natures satisfaisantes
."

"[Socrate]: Ce serait un ouvrage d’une longueur démesurée que de décrire d’une part tous les régimes, de l’autre tous les caractères, sans rien laisser de côté."
-Platon, La République ou De la Justice, Livre VII. Traduction Émile Chambry.

"[Socrate]: Une telle cité [oligarchique] est nécessairement non pas une, mais deux : d’un côté celle des pauvres, de l’autre celle des riches, habitant le même lieu sans cesser de comploter les uns contre les autres."

"[Socrate]: La démocratie, je crois, naît lorsque après leur victoire, les pauvres mettent à mort un certain nombre des autres habitants, en expulsent d’autres, et font participer ceux qui restent, à égalité, au régime politique et aux charges de direction, et quand, dans la plupart des cas, c’est par le tirage au sort qu’y sont dévolues les charges de direction."

"[Socrate]: Ce régime [la démocratie] a des chances d’être le plus beau des régimes politiques."

"[Socrate]: De quelle façon naît la tyrannie, mon cher camarade ? En effet, qu’elle naisse d’une transformation de la démocratie, cela est presque évident."

"[Socrate]: Exagérer dans un sens a tendance à provoquer un grand changement en sens inverse."

"[Socrate]: Un tyran est dans la constante nécessité de provoquer la guerre."
-Platon, La République ou De la Justice, Livre VIII. Traduction Émile Chambry.

"[Socrate]: Il y a une espèce de désirs terrible, sauvage, et hors-la-loi en chacun, même chez le petit nombre d’entre nous qui donnent l’impression de se dominer tout à fait."

"[Socrate]: Un homme devient tyrannique au sens strict lorsque soit par nature, soit par ses occupations, soit par les deux, il est devenu adepte de l’ivresse, d’Eros, et de la bile noire."

"[Socrate]:  Tout au long de leur vie, ils vivent sans être jamais chers à personne, mais en étant toujours les maîtres ou les esclaves de quelqu’un d’autre ; la nature tyrannique reste toujours privée de goûter à la liberté et à l’amitié véritables."

"[Glaucon]: Il est visible à quiconque qu’il n’y a pas de cité plus malheureuse qu’une cité gouvernée de façon tyrannique, et pas de cité plus heureuse qu’une cité gouvernée de façon royale."

"[Socrate]: Même si quelqu’un est d’un autre avis, en vérité celui qui est réellement tyran est réellement esclave, il vit dans un comble de flagornerie et d’esclavage, et il est le flatteur des gens les plus méchants ; il ne satisfait aucunement ses désirs, mais il apparaîtrait comme absolument démuni de la plupart des choses, et comme véritablement pauvre, si l’on savait considérer son âme tout entière ; il déborde de peur tout au long de sa vie, et il est plein de soubresauts et de souffrances, si en effet il ressemble à la disposition de la cité qu’il dirige."

"[Socrate]: Dans le genre humain, les trois espèces principales sont l’ami de la sagesse ou philosophe, l’ambitieux ou ami de la victoire, et l’ami du profit."

"[Socrate]: Par quoi doit être jugé ce qu’on veut faire bien juger ? N’est-ce pas par l’expérience, par la réflexion, et par la raison ?"

"[Socrate]: Tu t’aperçois que les hommes, quand ils se trouvent dans la souffrance, font l’éloge de l’absence de souffrance et du repos qu’elle donne, disant que c’est là ce qu’il y a de plus agréable — et non la jouissance."

"[Socrate]: Ne nous laissons donc pas persuader c que le plaisir pur soit une cessation de la souffrance, ni la souffrance une cessation du plaisir."

"[Glaucon]: Tu as fourni là, dit-il, un incroyable calcul de la différence entre ces deux hommes, l’homme juste et l’injuste, par rapport au plaisir et à la douleur."

"[Socrate]: De quelque façon qu’on le tourne, celui qui fait l’éloge de ce qui est juste dirait vrai, et celui qui fait l’éloge de l’injuste dirait faux. En effet, qu’on examine les choses par rapport au plaisir, par rapport à la bonne réputation, ou à l’utilité, celui qui fait l’éloge de ce qui est juste dit vrai, celui qui le blâme ne dit rien de valide, et blâme sans connaître ce qu’il blâme."

"[Socrate]: Elle est peut-être [la cité platonicienne] située là-haut dans le ciel, comme un modèle pour qui veut la regarder et, en la regardant, se gouverner lui-même. Et il n’importe d’ailleurs en rien qu’elle existe ou doive exister quelque part."
-Platon, La République ou De la Justice, Livre IX. Traduction Émile Chambry.

"[Socrate]: Cependant une certaine affection, et un certain respect, que depuis mon enfance j’ai pour Homère, m’empêchent de parler. Car c’est bien lui, semble-t-il, qui a été le premier maître, et le conducteur, de tous ces beaux poètes tragiques. Eh bien non, il ne faut pas faire passer le respect pour un homme avant celui qui est dû à la vérité."

"[Socrate]: Crois-tu, Glaucon, que si Homère avait été réellement à même d’éduquer les hommes et de les rendre meilleurs, parce qu’il aurait été capable sur ces sujets non pas d’imiter, mais de connaître, il ne se serait pas fait de nombreux compagnons, qui l’auraient tenu en estime et en affection ? [...] Tous les spécialistes de poésie, à commencer par Homère, sont des créateurs de fantômes de l’excellence, comme de fantômes des autres thèmes de leurs compositions, mais [...] ils ne touchent pas à la vérité."

"[Socrate]: C’est en toute justice que nous pourrions refuser de l’accueillir [le poète] dans une cité qui doit être gouvernée par de bonnes lois, puisqu’il éveille cet élément de l’âme [l'irritation], le nourrit et, le rendant robuste, détruit l’élément consacré à la raison ; comme lorsque dans une cité, en donnant du pouvoir aux méchants, on leur livre la cité, et qu’on mène à leur perte les hommes plus appréciables. Nous affirmerons de la même façon que le poète spécialiste de l’imitation fait entrer lui aussi un mauvais régime politique dans l’âme individuelle de chacun : il est complaisant avec ce qu’il y a de déraisonnable en elle, qui ne reconnaît ni ce qui est plus grand ni ce qui est plus petit, mais pense les mêmes choses tantôt comme grandes, tantôt comme petites ; et il fabrique fantomatiquement des fantômes, qui sont tout à fait éloignés de ce qui est vrai."

"[Socrate]: Et à l’égard des plaisirs d’Aphrodite, de l’esprit combatif, et de toutes les choses dans l’âme qui touchent au désir, au chagrin, et au plaisir, choses dont nous affirmons qu’elles sont pour nous liées à chacune de nos actions, n’est-ce pas le même argument qui vaut, à savoir que l’imitation poétique a sur nous le même genre d’effets ? Elle nourrit ces affections en les irriguant, quand il faudrait les assécher, et en fait nos dirigeants, alors qu’il faudrait que ce soit elles qui soient dirigées, pour que nous devenions meilleurs et plus heureux, au lieu de devenir pires et plus malheureux."

"[Socrate]: Proclamons cependant que de notre côté en tout cas, si l’art de la poésie orientée vers le plaisir, si l’imitation, avait quelque argument à avancer, pour prouver qu’il faut qu’elle existe dans une cité dirigée par de bonnes lois, nous aurions plaisir à l’accueillir, car nous sommes conscients d’être nous-mêmes sous son charme. Cependant, ce qui vous semble vrai, il est impie de le trahir."

"[Socrate]: Jamais n’est négligé par les dieux l’homme qui veut avoir à cœur de devenir juste."

"[Socrate]: Ce que je vais te raconter n’est pas un "récit chez Alcinoos", mais le récit d’un homme vaillant, Er, fils d’Arménios, dont la race venait de Pamphylie. Il lui advint de mourir à la guerre. Lorsqu’au dixième jour on vint relever les cadavres, qui étaient déjà putréfiés, on le trouva en bon état, et quand on l’eut amené chez lui, dans l’intention de l’ensevelir, le douzième jour, alors qu’il était étendu sur le bûcher, il revint à la vie ; et une fois revenu à la vie, il raconta ce qu’il avait vu là-bas."

"[Socrate]: C’est ainsi, Glaucon, que l’histoire a été préservée et n’a pas péri, et qu’elle peut nous préserver nous-mêmes, si nous sommes capables d’y ajouter foi ; alors nous franchirons avec succès le fleuve de l’Oubli, et ne souillerons pas notre âme. Eh bien, si nous sommes capables d’ajouter foi à ce que je dis, nous devons considérer que l’âme est chose immortelle, et qu’elle est capable de supporter tous les maux ainsi que tous les biens. Nous nous tiendrons alors constamment à la route qui mène vers le haut, et nous pratiquerons la justice, liée à la prudence, de toutes les façons possibles. Ainsi nous pourrons être amis aussi bien avec nous-mêmes qu’avec les dieux, aussi bien lors de notre séjour ici que lorsque nous aurons remporté les prix que rapporte la justice, comme des vainqueurs faisant un tour de piste triomphal; et nous pourrons tant ici, que dans le cheminement millénaire que nous avons décrit, connaître un plein succès !"
-Platon, La République ou De la Justice, Livre X. Traduction Émile Chambry.
[Remarque 1] : Car, tous les spécialistes de Platon s’accorde sur cela, c’est bien lui qui parle dans cette œuvre de maturité, et non plus Socrate.




2 commentaires:

  1. C’est une présentation particulièrement sobre que vous nous proposez là de « La République », cher Johnathan Razorback. Il s’agit en effet d’une œuvre majeure, c’est le moins que l’on puisse dire. Les extraits que vous avez choisis très judicieusement montrent que, contrairement à beaucoup, vous avez su dépasser la dimension strictement politique de l’ouvrage, et que vous avez vu de quoi il s’agit avant tout : d’un traité sur la justice, et sur les différents « modes d’être » de l’âme (l’âme ordonnée par opposition à l’âme déréglée).

    Je m’étonne tout de même un peu qu’un ardent défenseur des libertés politiques comme vous ne s’en prenne pas davantage au côté totalitaire de la cité platonicienne, aspect qui a été dénoncé à de maintes reprises par les partisans du libéralisme politique, en particulier par Karl Popper dans son fameux ouvrage La Société ouverte et ses ennemis (que je n’ai pas lu), où il s’en prend nommément à Platon et à « La République ». Si je devais répondre à ces critiques, je dirais que la cité de la « République » est une cité idéale, une métaphore de l’âme, et que Platon se montrera moins dogmatique dans son dernier ouvrage, « Les Lois ». Mais je n’irais pas jusqu’à faire de Platon un précurseur du libéralisme politique, loin de là !

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    1. Vous voyez juste, cher Laconique. Je n’ai pas voulu me lancer dans un commentaire trop détaillé, entre autre parce que Platon est un auteur difficile, et que les risques d’interprétations erronées sont nombreux.

      Popper en est un parfait exemple, et, comme d’habitude, sa compréhension de la philosophie politique avoisine zéro (on lui doit par exemple l’affirmation selon laquelle les œuvres de Hegel mériteraient d’être placées à côté de Mein Kampf, c’est vous dire le niveau du personnage…).

      Bien sûr on peut faire dire beaucoup de choses à La République en utilisant tel ou tel passage. Le passage suivant pourrait être interprété comme libéral car opposé à la régulation en matière commerciale (« il ne vaut pas la peine de donner à des hommes de bien des instructions ; la plupart des détails qu’il faudrait fixer par la loi, ils les découvriront facilement d’une façon ou d’une autre »), tandis que tel autre passage contre la poésie, l’éducation étendue à tous ou le danger d’innover s’apparente à une menace contre ce que Popper appelle une société ouverte. Mais il faut en être rendu au dernier degré de la confusion mentale pour se laisser aller à écrire (comme l’a fait Michel Onfray) que la Cité platonicienne est « totalitaire ». Elle ne l’est pas (quid du parti unique, de l’embrigadement des masses, de la terreur permanente, etc), le serait-elle que le terme est anachronique. Et Platon lui-même n’est pas un fanatique acharné à réaliser son modèle idéal en ruinant la démocratie, il s’intéresse comme vous le dites à l’élévation spirituelle de ses lecteurs (« Elle est peut-être [la cité platonicienne] située là-haut dans le ciel, comme un modèle pour qui veut la regarder et, en la regardant, se gouverner lui-même. Et il n’importe d’ailleurs en rien qu’elle existe ou doive exister quelque part. »).

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